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JORDSKOTT : Un conte surnaturel écologique

  • Agathe
  • 18 mars 2020
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 30 mars 2020


« Le mystère se cache dans les fougères » pourrait presque être le slogan de Jordskott, la série suédoise actuellement en replay sur Arte. La chaîne franco-allemande, qui témoigne une fois encore de sa profonde affection pour les fictions de nos voisins nordiques, nous offre cette fois-ci une oeuvre plus hybride, se démarquant vraiment de leurs précédentes acquisitions. Notre nouveau coup de cœur propose une réelle nuance au Nordik Noir, le genre de prédilection des Scandinaves.


Le pitch ne laissait pourtant pas vraiment présager la nouveauté qui se saisirait de cette histoire : A la mort de son père, la détective de police Eva Thörnblad est contrainte de retourner dans son village natal, à Silverhöjd. Elle n’y a pas remis les pieds depuis la disparition de sa fille Josefine, mystérieusement volatilisée près d’un lac, 7 ans auparavant. Ne croyant toujours pas à la théorie de la noyade, Eva est loin d’avoir fait son deuil. Quand un petit garçon de Silverhöjd disparaît à son tour, dans les mêmes circonstances étranges que sa fille, Eva s’immisce dans l’enquête…



Un univers fantastique, une atmøsphère inquiétante

Loin d’une enquête policière traditionnelle comme Bron/Broen, cette série ne relève pas non plus de la science-fiction comme on a déjà pu le voir dans Real Humans. Grâce à son créateur Henrik Björn, Jordskott : la forêt des disparus nous embarque dans un nouvel univers : celui des contes et légendes mythologiques nordiques.


Et on dit oui ! Enfin une échappée fantastique fascinante qui débarque dans les séries noires scandinaves ! Un vent de renaissance qui rafraîchit le genre, et qui nous glace le sang.. « L’inquiétante étrangeté » est l’essence même de Jordskott, la forêt des disparus. Cette série évolue entre deux mondes, deux réalités qui se frôlent, coexistent sans en avoir toujours conscience : le monde magique des créatures et esprits de la forêt, et le monde réel des hommes tel que nous le connaissons. Que ce soit séparément ou dans leur rencontre, ces mondes troublent et menacent.



Les Scandinaves étant les rois du suspense haletant, du mystère « chair de poule » et des histoires « dark », il ne fallait donc pas s’attendre à découvrir des licornes qui mangent des arcs en ciel près d’une rivière de chocolat… Ici les licornes sont remplacées par des créatures tantôt invisibles à nos yeux, tantôt visibles mais terrifiantes, qui troquent les arcs en ciel pour de la chair fraîche, et qui peuplent justement les rivières pour mieux attirer les hommes à eux, et les dévorer (on en rajoute à peine).


Silverhöjd, le village poison

Au-delà de l’univers mystérieux de la forêt, l’univers des hommes est paradoxalement tout aussi inquiétant. Petite bourgade perdue en pleine campagne, Silverhöjd se révèle particulièrement étouffante. On y découvre un microcosme putréfiant, où certains habitants sont hantés par de terribles secrets qui contaminent le reste du village : un mal qu’ils tentent d’enterrer dans leur silence semble peu à peu se révéler, se répandre telle une plante toxique.



Les membres de cette petite communauté s’agitent dans tous les sens tels des insectes venimeux, et semblent dangereux les uns pour les autres. Père alcoolique violent, délinquants qui brutalisent un jeune handicapé mental, ancien flic ignoré par tous car vu comme un fou délirant : ces personnages hauts en couleurs ne semblent pas se supporter, et nous fascinent autant qu’ils déstabilisent. Pourri de l’intérieur, Silverhöjd finit par empoisonner ses bois avoisinants, dont les cours d’eau sont de plus en plus pollués.


A cela se greffe une vague de disparitions d’enfants aux abords des bois, la détresse des parents ne se manifestant pas toujours très clairement… Quel monde est finalement le plus menaçant ? Nous sommes perdus !


Une forêt à couper le souffle

Décor touffu et moussu, la forêt des disparus est la véritable héroïne de cette série suédoise.


Opulente, verdoyante, sinueuse, labyrinthique, elle semble se refermer sur celui qui ose franchir ses orées. Magnifiée par une photographie nette et aiguisée, auréolée d’une lumière mystique et éblouissante, c’est sans doute la première fois que la nature est aussi fascinante -voire hypnotisante- dans une série télévisée. Jeu de cache-cache de la lumière, pénétrant comme elle peut à travers les branches fournies des bois, ces terres sont plongées dans un clair-obscur quasi permanent, participant à son inquiétante étrangeté.



Loin d’être juste un paysage filmé dans le but de nous enchanter, on sent que le créateur Henrik Björn a réellement cherché à lui donner corps, mais aussi à lui créer une âme. Elle semble vivante, on la sent presque respirer, observer ses visiteurs, leur murmurer des choses. Constamment caressée, chatouillée par une brume qui glisse lentement le long de son sol mousseux, cette forêt anthropomorphique est le cœur de cette région reculée de la Suède.


Cette forêt, tantôt calme et silencieuse, tantôt animée et vengeresse, est avant tout l’espace d’une beauté aussi enchanteresse que redoutable. Et c’est grâce aux choix de mise en scène, à la manière si atypique de filmer cette nature, qu’elle nous semble si vivante, si animée et si dangereuse pour ses visiteurs. C’est peut être parce qu’elle abrite, cachées à nos yeux, des créatures incarnant des forces ancestrales, l’esprit même de cette forêt.


Une inspiration de contes et légendes


Que son créateur Henrik Björn se soit directement nourri des mythologies scandinaves fait la grande force de Jordskott. Convoquant de multiples créatures, ces dernières foulent le tapis végétal des bois pour mieux venir à notre rencontre et nous surprendre.

S’inspirer de légendes ancestrales offre donc une oeuvre d’autant plus intéressante qu’elle attise notre curiosité de découvrir les vestiges d’une culture nordique et de son folklore mystique, et réaffirme notre passion pour le fantastique.


Trois types de créatures sont introduites dans Jordskott :


VITTRA : Cette créature peuplant des grottes et forêts est issue du folklore suédois. Il s’agit d’êtres possédant des aptitudes fantastiques (comme le pouvoir de se rendre invisibles). Si on ne les embête pas, ils se montreront pacifiques et amicaux. Mais dans le cas inverse, leur vengeance sera terrible.


NØKKEN : Elle vit cachée au cœur des lacs et des rivières. Si on touche la surface de l’eau, sa main surgit pour entraîner la proie vers le fond. Amatrice de chair humaine, cette bête est également capable d’hypnotiser ses victimes pour les faire venir à elle.


HULDRA : D’apparence humaine, cette créature fantastique issue du folklore norvégien apparaît sous les traits d’une belle jeune femme à la chevelure d’un roux flamboyant. Affublée d’une longue queue poilue, elle attire à elle les jeunes hommes et peut faire preuve d’une grande sauvagerie s’ils la négligent…



Ce qui est vraiment fin ici, c’est que ces être surnaturels ne se révèlent que petit à petit au spectateur, au fil des épisodes. Jouant longtemps avec notre perception des événements, laissant planer le doute sur la nature des disparitions et des meurtres du village, Jordskott ne s’inscrit pas directement dans le registre fantastique. De par son apparence de série noire typique, l’hésitation quant à la place réelle que prendront ces légendes évoquées dans l’histoire nous habite. Pour mieux réaliser que ce ne sont pas que des « contes »…


A ces créatures mythiques s’ajoutent également des éléments proches de la sorcellerie, à base de décoctions boueuses peu ragoûtantes, mais aussi de métamorphoses. Jordskott, c’est donc la promesse d’un voyage au-delà du fantastique. Plus vous avancerez dans la série, et plus vous vous enfoncerez dans cette forêt envoûtante.


Des légendes qui rappellent l’univers de Miyazaki

La nature est omniprésente chez Miyazaki, quand bien même elle est entourée par la technologie ou évolue dans un monde futuriste. Florissante ou mal en point, immensément étendue dans les plaines ou survivant sur un château dans le ciel, elle est là.



Le rapport entre l’Homme et la Nature est une préoccupation constante du réalisateur. Nausicaä, Mon Voisin Totoro et Princesse Mononoké, par exemple, témoignent du vif intérêt de Miyazaki pour la flore dévastée par la pollution et une urbanisation massive.

Le réalisateur s’inspire du shintoïsme, une religion japonaise ancienne qui consiste en la vénération des « kamis ». Ces derniers sont des esprits prenant la formes d’êtres spirituels, d’animaux, de sources ou de montagnes sacrées afin de se battre contre le monde moderne. Ainsi, dans Princesse Mononoké par exemple, les animaux possédés par les kamis, tels que le dieu cerf, sont là pour défendre leur habitat magique mis à mal par l’Homme. Dans Pompoko, on trouve des esprits « Tanukis », qui prennent vie dans des animaux dans le but de sauver leur forêt face à l’agrandissement des villes.


Cette thématique est identique dans Jordskott. La forêt mystique, abritant des peuples magiques souvent inconnus des Hommes, se défend violemment contre la communauté de Silverhöjd qui instaure une déforestation grandissante.


L’univers de Miyazaki est hanté par les esprits de la forêt. Comme présentées précédemment, la série s’inspire également de légendes anciennes pour donner vie à des créatures mythologiques. Tantôt protectrice (Mon Voisin Totoro), tantôt toxique (Nausicaä), tantôt déchaînée (Princesse Mononoké), la nature est active ; dans Jordskott, la forêt des disparus aussi. Disparitions étranges, maladie parasitaire inconnue transformant peu à peu l’homme en matière végétale, la forêt leur fait passer un message puissant.


Jorskott, la forêt des disparus est une aventure forte, nous faisant dériver loin de nos repères. Captivante, intrigante, elle est en constante transformation, changeant de peau au gré des rebondissements. Cette oeuvre glisse vraiment avec aisance de la série noire au fantastique pur, puis à la série d’épouvante. Jorskott sait créer de réelles montées d’angoisse chez le spectateur. Inquiétante étrangeté + Atmosphère glauque et mortifère = Grand frisson garanti.



Article écrit en 2016 pour Séries Chéries

 
 
 

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