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OUR BOYS : mon coup de coeur venu d'Israël

  • Agathe
  • 8 avr. 2020
  • 10 min de lecture

Tout est dit dans le titre ! Ou presque...


Cette mini-série américano-israélienne, créée par Hagai Levi, Joseph Cedar et Tawfik Abu-Wael, se base sur des faits affreusement réels. En effet, Our Boys nous dépeint avec un réalisme poignant les événements tragiques survenus en 2014 à Jérusalem.


Durant l'été 2014, trois adolescents juifs ont été kidnappés alors qu'il faisaient de l'auto-stop. Après 18 jours de recherche, leurs corps sans vie ont été retrouvés, attisant la colère et la haine de tous les juifs Israéliens. Ce crime religieux était l'oeuvre de membres du Hamas, le mouvement de résistance islamique.


Deux jours plus tard, les représailles s'abattront alors sur un jeune Palestinien de 16 ans, Mohammad Abou Khdeir, qui a été à son tour kidnappé, tué et retrouvé brûlé.

C'est sur ce second meurtre que la série se concentre, de la disparition de la victime, au déroulement de l'enquête, jusqu'au procès des accusés.



Suite aux meurtres de ces quatre adolescents, des vagues de haine, de violences et des manifestations extrémistes des deux bords se sont déchaînées dans tout Israël et la Palestine. Ce fait divers dramatique a donc sévèrement impacté les communautés juive et musulmane puisqu'il est l'un des éléments déclencheurs de la guerre de Gaza de 2014.


Si je peux vous rassurer dès à présent, il n'y a pas besoin d'être un fin connaisseur du conflit israélo-palestinien pour comprendre cette série.

Pour ma part, j'ai toujours été un peu perdue face à cette histoire. Et Our Boys m'a permis de mieux l'appréhender et d'en saisir enfin les tenants et les aboutissants.


Et loin est leur volonté de vous faire un cours d'histoire !

Our Boys reste une fiction, certes basée sur des faits réels, mais construite avec les codes sériels, créant de l'émotion, de la tension, mais aussi du suspense.

Et c'est le plus déroutant : plonger aussi profondément dans cette histoire complexe et bouleversante, pour réaliser à chaque fin d'épisode, quand on se déconnecte un temps soit peu du récit, que cela a beau être une fiction, c'est réellement arrivé...



Une histoire développée à travers trois prismes


La série suit simultanément les événements à travers trois prismes différents.

D'abord celui de Simon Cohen, un agent de la division terroriste du Service de sécurité intérieure israélien, appelé aussi Shabak ou Shin Bet. Il enquête avec son équipe sur le meurtre de Mohammad et met tout en oeuvre pour trouver ses assassins.


Mais la position de Simon est délicate car il n'est pas seul décisionnaire dans ces recherches. Et les consignes venant d'en haut vont souvent à l'encontre de l'avancement de l'enquête et de la vérité. Le Shabak est un service de police israélien majoritairement juif.

Donc dès le début, envisager qu'un juif ait pu commettre un crime aussi violent (particulièrement l'acte de brûler le corps) semble tout bonnement impossible pour ses supérieurs, qui le poussent à poursuivre la piste d'un crime musulman, voulant se faire passer pour un juif pour mieux les accabler.



Mais très vite, les preuves ne pourront plus être ignorées, et l'enjeu deviendra alors la communication autour de l'affaire. Ne pas brusquer les juifs en pointant du doigt leur communauté, ne pas brusquer les musulmans qui se méfient du Shabak, vu comme une police corrompue, seulement au service des juifs...


Il s'attire même les foudres de sa famille, qui le voit comme un traitre lorsqu'il mène l'enquête le plus impartialement possible. On lui reproche de ne pas protéger sa communauté : les juifs doivent toujours défendre les juifs, et sûrement pas les musulmans.


Le climat général étant très tendu, Simon et ses co-équipiers doivent opérer aussi discrètement que possible pour ne pas mettre le feu aux poudres et entrainer une véritable guerre civile dans les rues de Jérusalem.



On suit aussi l'histoire à travers le regard de la famille de Mohammad Abou Khdeir. Alors que la tragique nouvelle plonge sa mère dans une douleur profonde et mutique, que le frère s'engage dans des altercations avec les forces de l'ordre, qui tentent de contenir la colère des habitants du quartier, le père se retrouve seul contre tous.


Très vite en contact avec des membres du Shabak, et malgré ses aprioris, Hussein Abou Khdeir décide de faire confiance à la police pour retrouver les coupables.

Même si leurs échanges ne se passeront pas sans désaccords et violentes disputes, Hussein accepte de coopérer avec eux et même de se rendre dans leurs bâtiments, ce qui lui vaudra de l'incompréhension et des critiques de son entourage.


Le Shabak étant vu par les Palestiniens comme la police des juifs pour les juifs, où les musulmans sont toujours les coupables et jamais les victimes, il sera jugé bien naïf de croire qu'ils tenteront réellement de trouver les assassins de son fils.


Jugé pour ses choix, qui vont à l'encontre de leurs croyances, par le seul fils qui lui reste et sa femme dévastée, et peu à peu mis à l'écart par son voisinage, il devra faire preuve d'un grand courage et de persévérance pour endurer toutes les épreuves qui l'attendent.



Mais au-delà de ses parents, on découvre aussi ces événements à travers le point de vue de la communauté Palestinienne toute entière.


La façon dont Mohammad a été assassiné a suscité l'indignation dans tout son quartier, qui s'est ensuite étendue à tous les musulmans, le transformant pour toujours en martyr. Et une fois devenu martyr, Mohammad n'est plus seulement le fils de ses parents, mais le fils de la communauté palestinienne toute entière, dépossédant ainsi tristement son père et sa mère de leurs droits naturels sur leur fils. Impossible d'avoir une cérémonie privée, de choisir le cimetière de leur choix pour la mise en terre, ou tout simplement d'avoir un moment pour se recueillir sur la dépouille de leur fils. Mohammad est devenu un symbole mais aussi un outil de communication religieux.



Enfin, le dernier prisme proposé par la série est celui des coupables, et à travers eux celui de la communauté juive ultra-orthodoxe de Jérusalem.


C'était un pari vraiment risqué de nous montrer le point de vue des assassins, et pourtant cela a été réalisé avec brio. Les créateurs d'Our Boys ont intelligemment reconstitué les faits et construit les profils psychologiques des meurtriers.

Comme Hagai Levi le dit lui-même, tout n'est pas tout noir ou tout blanc : « On voulait montrer à quel point la combinaison de facteurs ayant poussé les auteurs du meurtre à tuer est complexe. Ce ne sont pas des monstres, ils sont humains et c'est important de le rappeler. Our Boys est une histoire d’une jeunesse masculine en quête de repères. »


En effet, sur les trois meurtriers du jeune Mohammad, deux sont mineurs. Ces jeunes hommes ne connaissent de la vie que ce que leur a enseigné leurs familles et leur Yeshivah.


Une Yechivah est un centre religieux dirigé par des rabbins, où les jeunes juifs étudient la Torah et le judaïsme. Plongé sans cesse dans l'apprentissage de leur religion, il y a très peu de place pour la découverte de la vie par soi-même ou le divertissement.



Totalement reclus sur eux-mêmes, leur quotidien est bien morne au sein de cette communauté sclérosée et étriquée. Ce n'est pas pour rien si la plupart des personnages de cette communauté sont suivis par des psychologues ou sous traitement médicamenteux... Le bonheur ne semble pas facile à trouver dans ce monde fermé sur lui-même et comportant tant de règles. Et c'est encore plus compliqué quand le patriarche de la famille est le rabbin de ta propre Yeshivah... Les attentes de leurs proches peuvent être lourdes à porter.


Même s'ils sont tous très entourés, et passent beaucoup de temps en famille ainsi qu'avec les membres de leur communauté, les jeunes hommes sont finalement très seuls et livrés à eux-mêmes, avec des doutes, des questions qu'on ne peut pas évoquer avec ses proches.


Et quand ton chemin rencontre soudain celui de quelqu'un de différent, qui représente l'épanouissement, la réussite et surtout la liberté, on peut très vite le considérer comme un modèle dont on veut suivre les pas... Le carcan de la religion sur la jeune génération et sa construction personnelle peuvent ainsi être dévastateurs.


Enfin, au sein de la même religion, des individus extrémistes peuvent aussi défendre des valeurs bien différentes que celles inculquées dans les textes ou les yeshivah.

La mort des trois adolescents israéliens a profondément choqué tous les juifs de Jérusalem. Attristés par ces assassinats violents, beaucoup de discours haineux ont été tenus lors des manifestations menées par les juifs les plus extrémistes. Ce genre de paroles qui prônent la violence, où l'appel à la vengeance est déguisé comme étant la volonté de Dieu, peuvent perturber les plus jeunes et les plus fragiles.



Ces différents points de vue sont particulièrement intéressants car ils révèlent, combinés ensemble, les préjugés racistes et l'hypocrisie générale qui règnent à Jérusalem et au sein de ces deux communautés.

Le tort n'est jamais montré de manière unilatérale, mais bien des deux côtés, ce qui rend cette série paradoxalement neutre, alors qu'elle dénonce pourtant toute l'horreur et l'injustice que peuvent créer la religion chez l'Homme.


Une série nécessaire et engagée...


J'ai beau avoir vu de nombreuses séries qui abordent des histoires ou des conflits politiques ou religieux, c'est la première fois que l'une d'entre elles me semble aussi nécessaire.

En effet, réaliser une série sur ce sujet, et la manière dont ils ont choisi de le traiter, est un véritable acte d'engagement.


« C'est le projet le plus difficile de ma carrière » a dit Hagai Levi, l'un des créateurs. Cet auteur, réalisateur et producteur israélien n'en est pourtant pas à ses débuts.


Mondialement connu pour avoir créé Be Tipul, série israélienne sur un psychothérapeute et ses patients, son oeuvre a donné lieu à 20 adaptations dans le monde, dont la plus connue est sa version américaine In Treatment, version américaine disponible sur OCS. Mais il est aussi connu (et porté haut dans mon coeur) pour être l'un des créateurs de The Affair, une de mes séries totem, qui s'est achevée il y a quelques mois seulement.


« Pendant des années, j'ai fait des séries qui étaient très universelles. A propos de relations humaines, de trahison, d'amour, etc.. Quand lHBO et le groupe israélien Keshet International m'ont approché en 2015 pour faire cette série, je me suis dit qu'il était peut-être temps d'écrire sur la réalité d'Israël dans laquelle je vis. »



Mais dépeindre un tel drame, ancré en plein conflit israélo-palestinien, de manière objective quand on est soi même issu de ces communautés, ce n'est pas simple :

« Ça nous a pris 4 ans. Nous avons fait beaucoup de recherches avec Joseph Cedar, mon co-auteur. Nous sommes tous les deux juifs israéliens ayant grandi dans des milieux religieux, et très vite, nous nous sommes rendu compte qu'on ne pouvait pas faire cette série sans un scénariste palestinien. C'est à ce moment-là que nous sommes allés chercher Tawfik Abu-Wael. Ça n'a pas été facile pour lui d'accepter. Il a reçu beaucoup d'attaques personnelles. Il était régulièrement en contact avec la famille de Mohammad, pour les tenir au courant de ce qu'on faisait et récolter des éléments pour le scénario. »



Cette série semblent même avoir apporté à ses créateurs un nouveau regard sur leurs propres origines : « La série m’a appris que je connaissais mal mon pays. Nos recherches ont été une exploration de notre nation. Elle a mis à jour les préjugés racistes, les fractures de la société israélienne entre les juifs venus d’Afrique du Nord et ceux venus d’Europe. »


Mais il semble aussi qu'ils avaient une volonté forte et courageuse de rétablir la vérité :

« Quand on parle terrorisme, on pense aussitôt au terrorisme palestinien. Pas au terrorisme israélien ». Et cela n'a clairement pas plu à tout le monde...


... mais une série qui a aussi créé la polémique en Israël


Cette série, au lieu de vouloir défendre une communauté pour mieux en diaboliser une autre, a surtout voulu montrer que les torts sont partagés.


Mais ce qui a surtout surpris et déstabilisé le public israélien, c'est leur choix de se pencher sur le meurtre de Mohammad : « La plupart des gens pensaient que la série se concentrerait sur le kidnapping des trois adolescents israéliens. Quand ils se sont rendu compte que ce n'était pas le sujet, de nombreuses personnes ont été très en colère »


La série reçoit alors une vague d'attaques à laquelle les auteurs s'étaient préparés, mais pas venant du Premier Ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Ce dernier n'a pas mâché ses mots puisqu'il a incité tout le monde à boycotter la série ainsi que sa chaîne de diffusion, qui est la seule chaîne israélienne privée. Ses raisons ? Il a accusé les créateurs de Our Boys « de nous salir à la face du monde, en proférant des mensonges contre l’État d’Israël ».

Fort heureusement, cet appel n'a fait que créer une polémique autour de la série, qui a renforcé la curiosité des publics de tous bords leur offrant une grande visibilité.



Our Boys s'est donc emparée d'une histoire délicate et encore douloureuse, et rien que pour cela, ses créateurs ont beaucoup de mérite.

Mais cette série qui porte sur le conflit israélo-palestinien souhaitait surtout mettre en lumière la culture et la psychologie de la haine, et les crimes qui en découlent.

« La série ne porte pas uniquement un regard anthropologique sur Israël. Elle interroge sur la notion de crime de haine qui frappe partout dans le monde. »


Car cette notion de haine de l'autre, qui se venge par le terrorisme, elle nous touche tous, où que l'on soit. Et pour retranscrire cette véracité, Hagai Levi et ses co-créateurs n'ont pas hésite à mêler à la fiction des images d'archives des manifestations et des affrontements de 2014, renforçant le réalisme déjà très acerbe de l'oeuvre.

Our Boys est une série coup de poing, très intelligente, et qui vous hantera longtemps...

Je ne peux que vous conseiller vivement de la découvrir au plus vite !!!


Et si vous voulez poursuivre votre découverte de l'Israël, je vous propose le documentaire choc du nom de M. Réalisé par Yolande Zauberman, il a reçu de nombreuses récompenses dont le César du meilleur documentaire (mérité celui-ci, contrairement à d'autres...).



Ce documentaire suit Menahem, un acteur à la voix d'or, qui revient après 15 ans d'absence dans son quartier natal de Bnei Brak, capitale mondiale des Juifs ultra-orthodoxes. La raison de son départ est la même que celle qui le pousse aujourd'hui à revenir parmi les siens : il a été abusé sexuellement tout au long de son enfance par des membres de sa communauté.

Loin d'adopter une approche vengeresse, Menahem souhaite au contraire trouver les coupables pour entamer une réconciliation.


Sa démarche personnelle va aussi permettre à la parole de se libérer autour de lui. Au long de son périple, il va rencontrer des hommes de tout âge qui lui avoueront avoir subi des viols, mais aussi en avoir commis, et qui s'inquiètent de leur rapport à la sexualité.

Mais Menahem y rencontrera aussi la joie : celle de pouvoir renouer avec sa communauté qu'il a malgré tout tant aimée...


Après de nombreux films et séries qui ont dénoncé les abus sexuels au sein de l'Eglise, M lève aujourd'hui le voile sur la pédophilie au sein des communautés juives ultra-orthodoxes. Ce monde habituellement inaccessible et très secret est ainsi mis à nu à travers le portrait intimiste et bouleversant d'un homme plein de courage et de vie.



Ce documentaire et Our Boys ont ainsi beaucoup de points communs dans ce qu'ils dénoncent ; en particulier concernant la jeunesse masculine israélienne.

Le carcan du judaïsme ultra-orthodoxe emprisonne ses jeunes disciples en quête de repères dans des règles religieuses strictes, qui entrainent beaucoup d'interdictions et de tabous.

Ce mode de vie qui les empêchent de découvrir le monde qui les entoure, et plus simplement la vie, l'amour ou la sexualité, ne leur permettent donc pas de s'y préparer.

Tous les hommes que Menahem rencontrent semblent aussi perdus et livrés à eux-mêmes que les personnages d'Our Boys, issus de la même communauté.


Même s'il reste encore beaucoup de choses à dire et à découvrir sur Israël et ses différentes communautés, Our Boys et M nous offrent déjà une très belle entrée en matière.


(La série "Our Boys" et le documentaire "M" sont disponibles sur Canal+)

 
 
 

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